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Basim Magdy, Il n’y aura pas d’étoiles filantes. Jeu de Paume, Paris

(c) Basim Magdy
(c) Basim Magdy

L’exposition « Il n’y aura pas d’étoiles filantes » au Jeu de Paume présente une nouvelle œuvre de Basim Magdy. Un film qui s’inscrit dans la programmation Satellite 9 intitulée « Notre océan, votre horizon », une série de quatre expositions personnelles qui s’intéresse à l’identité aquatique.

Article de Jean-Marie Baldner (historien et critique)
Découpé, revendiqué, possédé, l’océan n’a pas, en dehors des mythes, de résidents déclarés ou proclamés, ni de cartographie en profondeur. Il est le mouvement, l’espace des marins, des voyageurs solitaires, des vagabonds, des migrants et, dans les iles qui le trouent, celui des relégués, des prisonniers : « Je suis l’immigrant à qui le bateau a plus appris / Que toute une vie d’expériences mathématiques », énonce le narrateur depuis la terre ferme. Sujet et objet des angoisses et des désirs de liberté des hommes, ils lui ont inventé, plus ou moins inaccessibles, un peuplement de monstres des abysses et une dispersion d’iles abritant et protégeant utopies – ou dystopies – et uchronies. En miroir de l’espace, l’océan est le lieu de la conquête lente de nos connaissances et de leur incertitude, où la science détrône peu à peu la démesure des êtres fabuleux au profit de la diversité des formes d’invertébrés, vers et bactéries qui prolifèrent en milieu hostile.
Qu’est-ce que l’océan ? Nous croyons le connaître, le comprendre, tout un savoir construit de notre seul point de vue d’habitants des terres émergées, pour l’explorer, l’exploiter, l’utiliser, le consommer et toujours découvrir des lieux et des formes de vie jamais observés : « Nous voilà discutant de l’océan sur la lune de Jupiter et du nombre inouï d’iles inaccessibles qui délimitent l’expansion de son insondable cortex ». Les mythes lui prêtent une volonté, faste ou néfaste, pacifique ou colérique. Mais, qu’en serait-il si nous pouvions sonder son point de vue sur les actions des hommes dans une fiction de la réalité elle-même ? Dans No Shooting Stars, images et textes se mêlent, se répondent, prennent de la distance, s’opposent pour penser l’océan comme une personne, ou plutôt comme une entité, et « il s’en fiche pas mal ». Basim Magdy joue une composition sonore, succession fluide d’images qui apparaissent, se superposent, se fondent, surfaces et ilots, terres familières et inidentifiables, profondeurs marines avec leurs habitants, hommes et animaux, où s’ancrent tous ces doutes, une zone poétique d’incertitude, de promesse onirique de découvertes, qui seront ou ne seront pas : « Il n’y a plus rien à espérer sinon d’évanescentes bribes de savoir et l’esquive finale ». Appréciés aux mystères de l’insondable et de l’inconnu, l’humour et l’attrait de l’absurde ne sont jamais éloignés.
L’exposition est organisée en deux volets, deux espaces, une série d’instantanés et un film Super 16 mm sonore, fictions de réalité, dont le montage, le traitement chimique, l’ajout d’effets lumineux, les animations, les superpositions de supports et les collages en strates, le transfert en haute définition transforment les couleurs de l’image, ses transparences et jusqu’à sa nature même. Sur une composition musicale originale, le narrateur, à la forme énigmatique, à l’identité jamais entièrement révélée, déguisé en fantôme ou en « immense montagne sous-marine », convoie les images, les objecte, les conteste, semble guider et emmène dans un « chemin sans fin pavé d’humilité turquoise », une navigation faite de sinuosités ouverte aux énigmes et aux brumes de l’imagination où l’océan, ses lieux et ses habitants sont confrontés à la débilité des connaissances et des actions humaines : « Je suis le chant lancinant de toutes les sirènes défigurées / Assaillies de frais médicaux après une fuite radioactive / Je suis le trauma d’enfance d’une méduse-boîte / Qui n’a jamais réussi à démêler ses tentacules / Je suis le boucher, le couteau, le cadavre […] ». Dans l’humilité et la déférence à l’inconnu d’un ignorant, le narrateur convoque une autre mythologie, celle du savoir et du recours à la fiction pour comprendre l’inconnu : « Dans ces abîmes il n’y a pas d’étoiles filantes / Dans ces abîmes gît une existence / Où vos désirs ne seront pas exaucés ». Méditation sur les mystères de l’océan et résignation. Qu’est-ce qui attise l’ignorance à fonder des mythes et les résilie à la banalité du quotidien? Dans l’exercice du doute, le film est renoncement à lever les énigmes de « nos destins houleux […] à jamais liés ».
Jean-Marie Baldner
Basim Magdy, No Shooting Stars / Il n’y aura pas d’étoiles filantes, Film Super 16 mm et GIF animés transférés sur Full HD, Durée : 14 min 25 s., 2016, Exposition présentée dans le cadre de la programmation Satellite 9 « Notre océan, votre horizon », commissaire d’exposition Heidi Ballet, Coproduction : Jeu de Paume, Paris, Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques et CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux.

Jusqu’au 15 janvier 2017
Jeu de Paume
1 Place de la Concorde
75008 Paris