Valoriser la création photographique et réfléchir à ses pratiques.

Bénédicte Benloÿ, Portrait de l’enfant caché, Montreuil, Croix de Chavaux.

Benloÿ, Portrait de l’enfant caché. Tirage argentique sur papier baryté 40/50, pellicule argentique noir/blanc photographiée au Leica M6, 2015 © Benloÿ 2015, www.benloy-photographe.com
Benloÿ, Portrait de l’enfant caché. Tirage argentique sur papier baryté 40/50, pellicule argentique noir/blanc photographiée au Leica M6, 2015
© Benloÿ 2015

Bénédicte Benloÿ, Portrait de l’enfant caché, Montreuil, Croix de Chavaux.

À Montreuil, la résidence artistique Pignon sur Rue accueille pour deux mois la photographe Benloÿ.
Article de Jean-Marie Baldner (historien et critique)
Vous êtes descendu du métro à Croix de Chavaux. Ligne 9. Du haut des marches, vous l’apercevez. Place Jacques Duclos, en 6m par 4m50, il vous regarde. L’enfant sur le mur de la ville. Sur le pignon entre la rue du Capitaine Dreyfus et l’avenue Gabriel Péri. Son masque tenu du bout des doigts, devant le visage, il vous regarde. Qui est-il? D’où vient-il? De quelle fête de quartier ou défilé de rue? Quel jeu invente-t-il derrière la surface photographique? Il est simplement « l’enfant caché » et il vous regarde. Un œil de carton grand ouvert et l’autre occulté, noir.
Figure de capitaine aventureux ou de pirate de papier collé guettant le carrefour, gardant sa mémoire ? Œil ouvert, œil masqué de noir, à l’innocence de l’enfant se substituent d’autres histoires. Un 8 juillet 2009, à Montreuil, place du marché, lors d’un rassemblement organisé contre l’expulsion d’un squat dans une clinique désaffectée, un manifestant perd un œil à la suite d’un tir policier de flashball. Le pignon alors couvert de la fresque Montr’œil, un visage d’enfant à la loupe démultiplié, est barbouillé de jets de peinture. Derrière le cache œil noir de pirate et le déguisement de l’enfant, le rouge sang résiste.
La photographie argentique risque le piqué et les différences de grain, noir profond de l’œil dérobé et dégradés de gris des mains au visage, dissimulé derrière le masque, de la casquette gavroche au blanc lumineux des immeubles, noir, gris, blanc sur le pignon de crépi clair, le jeu apprivoisé sans ignorance, sans innocence des couleurs de peau. Le portrait, démesuré, ne raconte rien qu’une familiarité étrange, un instant de vie et une rencontre dans la ville en appel de mixité partagée. L’œil est dans le masque et il vous regarde, d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et d’autres temps, au-dessus de la circulation, indifférent aux heures changeantes, immobile et sans cesse mouvant.
Capuche sur la tête, l’enfant n’ajuste pas le masque, il le brandit collé devant son visage, désir de le montrer et d’échanger avec la photographe ou pudeur et repli sur son identité dans une distance communicative ? « Quand je serai grand… », le masque abrite le visage, alterne et relaie l’enfant et l’adulte. La photographie muette, ouverte sur tous les hors champs possibles d’une ambiance de quartier, solitaire ou collective, animée ou assoupie, apostrophe, se dispose au dialogue et au récit des imaginaires, à l’invention d’un endroit et de paroles échangées quelque part au pied d’un immeuble, au cœur d’une cité.
Le mur indifférent opère une mue, s’invente une matière, un sens en profondeur, s’anime, se souvient. Surdimensionnée, plantée sur le pignon qui la fait évidente de toute la turbulence du carrefour, décalée de la finesse de son noir et blanc, la photographie dénoue d’autres dialogues sur l’unité métissée de la ville, sur le temps des événements aux multiples enchainements. J-M Baldner

Benloÿ, Portrait de l’enfant caché. Tirage argentique sur papier baryté 40/50, pellicule argentique noir/blanc photographiée au Leica M6, 2015 © Benloÿ 2015, www.benloy-photographe.com/.
Jusqu’au 15 janvier 2017
Place Jacques Duclos, à l’angle de la rue du capitaine Dreyfus (métro Croix de Chavaux), résidence éphémère Pignon sur rue à Montreuil