Valoriser la création photographique et réfléchir à ses pratiques.

Julien Magre, EN VIE, Galerie Dityvon

En vie, le titre de l’exposition de Julien Magre, prix Niépce Gens d’images, à la galerie Dityvon, peut s’entendre de multiples façons, d’abord comme une déclaration d’amour et une sensibilité au temps qui passe. L’accrochage des photographies, couleur et noir et blanc, de différents formats, en multiples, regroupées en composition dans un cadre unique – « story board » d’un « road movie » (Troubles), objets de l’enfance, d’une disparition (Je n’ai plus peur du noir), voyage toscan à « L’inconsolable » de Lorenzo Bartolini – ou présentées dans un montage composite de cadres de différentes tailles, se déroule sur l’écran de la galerie comme un film de la vie ordinaire avec ses scènes, ses plans séquences, ses raccords, ses procédés d’écriture et de découpage. Le film de plus de vingt ans du fil d’une vie familiale où Julien Magre en « spectateur de sa propre intimité » mixe les séries et les livres depuis la fin des années quatre-vingt-dix à aujourd’hui.

 

Sans préméditation, sans protocole, avec le plaisir excitant et instinctif de l’outil photographique, Julien Magre capte les moments de plénitude, de joie dans une poétique du quotidien. Une démarche de l’intime, des à-côtés de la vie de famille aux antipodes de l’album de famille, pas de fêtes, d’anniversaires, d’assemblées familiales, de bougies soufflées. Un geste, un regard le plus souvent hors champ, un corps de femme ou d’enfant, sa famille…, les petits riens, les instants sans importance, sur lesquels l’œil ne s’attarde pas, photographiés à bonne distance, en préservant la profondeur de champ, dans une naturalité de la lumière, du contexte et de la situation. Guidées par la pudeur et le respect de l’intimité, les photographies et leur accrochage dégagent une familiarité étrange, des images de silence où le regard du spectateur oscille entre l’intime et l’universel, se suspend en un imaginaire de plénitude et de fugacité.

Le temps est celui des bonheurs simples photographiés à l’argentique en couleur, celui de l’urgence photographiée au numérique en noir et blanc, celui de la perte, du traumatisme – Je n’ai plus peur du noir –, et de la reconstruction – Été 15 : « C’est un été où le silence est nécessaire […] Ce voyage isolé ne nous fait, ni du bien, ni du mal. Nous acceptons juste un réel un peu trop fort et très encombrant. » –. Le spectateur pense au cinéma (Éric Rohmer, David Lynch, John Cassavetes…), à la peinture (Pierre Bonnard, Francis Bacon…), au constat humble et tendre des choses simples et du temps suspendu.

L’attachement au réel et au contexte, souvent en extérieur, dans un jeu permanent avec le hors champ, l’attention à la qualité de la lumière naturelle, la distance entre le photographe, Caroline, leurs filles et leur fils installent les images dans des « entre-moments » flottants, une forme d’intemporalité, de défi au temps que répercute la musicalité de l’accrochage. Les moments où les corps se relâchent ne sont cependant pas exempts d’une certaine tension. Les regards tournés vers l’ailleurs de l’image et du temps du déclic n’accrochent pas celui du photographe-spectateur ; ils ne sont pas frontaux ou alors empreints de rêverie dans un échange entre le banal et l’étrange : « Je ne sais plus non plus, si ce jour-là, Louise crie ou recrache ses cheveux, comme du feu.» La photographie est dans la vie, dans le présent, autonome, dans « La vie comme une grande désillusion ». Dans le temps d’après, l’écriture en images s’accompagne de textes, une autre lecture, une autre dimension qui, dans l’exposition, s’affichent en poèmes d’une image manquante, de ce qu’on ne maîtrise pas, d’un temps de la fragilité et de l’épuisement de la tristesse où les regards se confrontent : « Cette nuit-là, elle a traversé mes rêves, / comme un oiseau blessé. / J’ai attendu le matin. Elle s’était envolée. / Trop haut, trop loin. »

Puis, côte à côte, en grand format couleur, quelques alstroemeria dans une carafe et un rai de lumière, en moyen format noir et blanc, le portrait de Caroline, dans une écriture différente du hors champ, le photographe témoin entre dans la fiction du réel. La main, de celui qui était spectateur de son intimité, en écho d’autres mains, de Caroline, de Louise, de Suzanne, franchit le cadre, entre dans l’image. La distance change de dimension, s’ouvrent d’autres imaginaires du spectateur acteur.

Jean-Marie Baldner, février 2024

 

Julien Magre, EN VIE, prix Niépce Gens d’images, Galerie Dityvon, BU Saint-Serge, 121 allée François Mitterrand, 45 000 Angers, commissariat Julien Magre et Lucie Plessis, 20 janvier – 17 mars 2024.

La candidature de Julien Magre au prix Niépce était parrainée par Philippe Guionie, directeur de la Résidence 1+2 à Toulouse.

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